Le passeur

Que reste-t-il en soi d’humanité lorsque l’on a tout perdu, de l’espoir à la dignité ? À travers ce premier roman d’une force inouïe, Stéphanie Coste immerge le lecteur dans les affres des migrants à la destinée tragique. Dans  » Le passeur «  publié en 2020 aux éditions Gallimard, Stéphanie Coste signe avec pugnacité et humanité un premier roman percutant et féroce qui résonne longtemps…

Seyoum est devenu l’un des plus gros passeurs de la côte libyenne. En ce mois d’octobre 2015, il doit organiser la traversée d’un nouveau convoi de migrants. Anesthésié par sa consommation excessive de khat et de gin, Seyoum n’agit plus que par automatisme. Ne plus penser. Ne plus ressentir.

p. 84 :  » Je me demande quand exactement ma peur s’est transformée en résignation. À quel moment précis j’ai arrêté de me sentir humain. Je ne suis pas tout à fait une bête. Je suis une mécanique bien programmée, qui obéit aux ordres, qui apprend docilement ce qu’on lui inculque. L’amour de la patrie, la haine de l’Ethiopie notre ennemi de toujours. L’importance de nous protéger en militarisant au maximum notre pays. On est là avant tout pour ça, des futurs soldats prêts à partir au front pour défendre la sainte patrie en cas de troisième guerre. Au bout de ces quelques mois j’ai intégré cette doctrine comme mon mantra quotidien. Je suis en train d’oublier qui je suis. « 

A partir de quand Seyoum a-t-il perdu son innocence, ses ambitions et ses rêves ? Qu’est-ce qui peut pousser un jeune homme à devenir si inhumain et à jouer avec le destin des innocents ?

p. 94 :  » J’ai dû abandonner mes rêves d’université. A vingt ans. La résilience finit par capituler sous le poids des chagrins. « 

Au fur et à mesure que le jour J approche, le lecteur découvre le passé bouleversant de Seyoum, sous forme de flash back. Comme si chaque heure qui s’écoule écrase la possibilité d’un dénouement heureux.

p. 36 :  » Je me détourne de lui et examine vaguement la cargaison. Quarante-cinq zombies luisants me fixent du même regard suppliant. J’y vois passer les ombres d’épreuves inracontables. Leurs fringues en lambeaux sont maculées de déjections. Des mouches s’y vautrent sans qu’ils en soient conscients. Ils ont lourdé leur dignité quelque part dans le Sahara. « 

En effet, comment se relever de tous ces traumatismes ? Cette boule dans le fond des tripes de Seyoum n’est que le reflet d’une rage intérieure indicible, prédisposé dès l’enfance à un combat dont on ne maîtrise plus ni les tenants ni les aboutissants . Indéfectible héritage.

p. 26 :  » – Seyoum, tu es encore petit, mais tu dois comprendre que c’est important de se battre pour son pays, pour les valeurs de la liberté. Et l’Ethiopie nous empêche d’être libres depuis vingt-cinq ans. Voilà pourquoi il faut la combattre. […]

– Moi je croyais que le plus important dans la vie c’était de protéger les gens qu’on aime. « 

 » Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l’innocence. «  Ernest HEMINGWAY

http://www.gallimard.fr/Contributeurs/Stephanie-Coste

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