Les Jouisseurs

Premières lignes....jpg Premières lignes…

 » Le guide explique le mécanisme de L’Écrivain, automate conçu par l’horloger suisse Pierre Jaquet-Droz au XVIIIè siècle. Dans le dos de la poupée, des milliers de pièces en cuivre, cames et leviers, s’activent et lancent les rouages permettant à la main de bois de tremper une plume dans l’encrier et de faire crisser le papier d’une écriture cursive. La prouesse est là, imprimée sur le dépliant du musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel :  » Un petit garçon capable d’écrire à la demande.  » Un jour, pourtant, – sous l’impulsion de qui ? – il avait eu cette phrase : « Jusqu’ici, je n’ai rien écrit », et les visiteurs avaient insisté pour être remboursés de leur ticket d’entrée. Ils n’avaient pas compris que L’Écrivain avait renvoyé son travail littéraire à plus tard. Dans le meilleur des cas, à demain. C’est qu’avant toute chose, il devait se ressourcer à la fontaine.  « 

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Lu dans le cadre d’un Comité Lecture, ce roman de Sigolène Vinson  » Les Jouisseurs «  est paru aux éditions de l’Observatoire en 2017.
C’est l’histoire d’un écrivain victime du syndrome de la page blanche. En effet, il planche depuis cinq ans déjà sur un traité philosophique qu’il a choisi d’intituler « De la fascination des trains électriques », dont il n’a a ce jour écrit qu’un seul chapitre.
En panne d’inspiration, Olivier décide donc de dérober un automate, et non des moindres :  l’Écrivain de Jaquet-Droz au musée de Neuchâtel.
p. 14 :  » La caisse sur le dos, Olivier atteint le coffre de sa voiture. Il regarde tout autour de lui, les rues de Neuchâtel sont vides, personne pour témoigner du rapt de l’Écrivain. « 
Arrivé chez lui, il le cache dans le sous-sol, où chaque nuit, celui-ci se met à écrire ce qu’Olivier espère le roman du siècle.
p. 14 :  » L’Écrivain trempe sa plume dans son encrier et écrit : « Le roman du siècle ».
Éléonore, sa femme, est visiteuse médicale spécialisée dans la vente et le placement des psychotropes, dont elle écoule une partie pour sa consommation personnelle.
p. 43 :  » Sa cargaison de psychotropes, elle ne l’a pas vendue, elle l’a bouffée. Elle débloque, la camée des lois chimiques. Son idéologie est une dépendance psychique. « 
Elle, ne manque ni d’idées, ni d’inspiration…
p. 64 :  » Si un jour elle devait écrire un livre, elle raconterait l’histoire d’une femme en caravane. Celle aussi de son mari, en caravane comme elle. Des êtres instinctifs aux désirs  et besoins organiques, des constitutions fortes mues cependant par des considérations autres que le sang qui coule dans leurs veines, désireuses de recouvrir leur nudité de poésie et de philosophie danoises. « 
Le roman du siècle prend forme, secrètement. Il s’intitule « La Caravane Wintherling »…
Les chapitres alternent entre l’évolution de l’écriture du roman, et les aventures du couple formé par Ole Wintherlig et Léonie Colombani, les héros de ce même roman. Ole est danois, contrebandier et profiteur de guerre dans le Maroc colonial de Lyautey, dont il vend de l’alcool frelaté à ses troupes.
p. 27 :  » Hubert Lyautey exige une pénétration pacifique du Maroc. Mais alors, de quoi meurt-il, au juste, le clairon? Ole crâne un peu : « De mon alcool !« 
Léonie, d’origine corse, est représentante pour un laboratoire pharmaceutique. Tout comme Éléonore, elle use et abuse de son chargement.
p. 33 :  » Quand l’être humain, pour exister, réclame autre chose que l’air et l’eau, c’est que plus rien ne tourne rond. « 
S’ils se suivent l’un l’autre à une certaine distance dans le désert marocain, à eux deux ils forment un couple dans la jouissance, dans le but de tromper leur mélancolie.
p. 119 :  » – Aucun joueur-jouisseur ne parle comme vous, Ole. Si vous voulez mon avis, vous filez un mauvais coton. « 
Mais quel rôle joue Éléonore dans l’écriture du roman du siècle ? Sa lassitude grandissante et son amaigrissement ont-ils un rapport avec celui-ci, ou est-ce seulement les conséquences de sa consommation de psychotropes comme le laisse entendre Olivier ?
p. 108 :  » – Je te l’ai déjà dit, aucune de mes actions n’est politique.
-Peut-être pas tes actions, mais tes douleurs ?
-Mes douleurs, politiques ?
-Un jour, il faudra pourtant que tu te soignes, lui dit Olivier. « 
Perplexe je l’avoue, à la lecture des premières pages, je me suis prise au jeu de l’Écrivain. L’idée d’utiliser cet automate comme « nègre littéraire »  est audacieuse et originale. Les personnages d’Éléonore et de Léonie ont attisé ma curiosité. Complexes, mais passionnantes, elles tiennent un rôle essentiel dans un roman qui de prime abord traite du syndrome de la page blanche de l’écrivain.
En aval de chaque chapitre du roman du siècle, on retrouve une notice technique de L’Écrivain, de petites notes qui prêtent à sourire !
Sigolène Vinson fait référence, à plusieurs reprises, au philosophe danois  Kierkegaard qui a écrit sur les stades esthétique, étique et religieux, questionnement mis en corrélation via les personnages du roman. Celui-ci est également ponctué des vers du poète danois  Jens Peter Jacobsen.

Note : 3/5

Auteure : Sigolène VINSON

Années de parution : 2017

192 pages

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